L’histoire derrière la photo

La photo fige son sujet dans le temps. Au moment du clic, tout s’arrête et l’animal capturé sur pellicule ne bougera plus. Il ne possède même plus de passé. Difficile donc, pour celui qui regarde la photo, d’imaginer un mouvement et une histoire. Or, il en existe toujours une, cachée derrière les pixels, connue du seul photographe. Sur une photo se dessinent des formes et des couleurs, des émotions aussi, de la poésie parfois. Le reste est laissé à l’imagination.

Connaitre l’histoire derrière la photo redonne un mouvement à l’animal, bouleverse les émotions qui s’étaient créées jusqu’à présent, et nous fait plonger à l’intérieur même du cliché. Alors on saisit la magie, on s’émerveille, on ressent, on s’émeut. Ou alors on devine ce qui se cache hors cadre et la déception est là, le prix s’affiche, la magie disparait, la beauté s’estompe. L’histoire est aussi importante que la photo.

Prenons l’exemple de ce gecko. La photo, toute simple, laisse penser qu’il était là, perché sur son rocher, attendant patiemment que je croise son chemin et le prenne en photo. Mais la vérité est tout autre.

Gecko des maisons (Hemidactylus mabouia) @ Popenguine, ouest Sénégal

J’avais déjà bien entamé ma sortie nocturne et malgré quelques engoulevents et un groupe de mangoustes, je n’avais pas vu la queue d’un reptile. La saison sèche n’est certes pas la meilleure période pour la traque aux reptiles, mais je suis une acharnée et qui ne cherche pas ne risque pas de trouver. Toujours est-il que cette nuit-là je trainais mes bottes dans la savane, sans grand enthousiasme, scrutant les arbustes à la recherche d’un caméléon ou d’un lézard assoupi, quand quelque chose attira mon regard. Cet infime mouvement de l’animal qui bouge d’un millimètre pour se camoufler discrètement au regard du prédateur. Infime mais suffisant. Un gecko !

Un gecko, oui, mais plaqué au tronc d’un arbuste épineux dont les épines, il est important de le préciser, font 2cm et sont très dures. Foncer aveuglément tel un phacochère débusqué n’est assurément pas la bonne technique. Je laisse tomber mon attirail à toute vitesse pour ramper plus facilement sous les branches et rallier précautionneusement le tronc. Les épines me lacèrent de partout mais qu’importe, c’est mon premier gecko, je le veux.

J’essaye de le prendre en photo mais glisser mon appareil entre les épines s’avère risqué et pas moyen d’avoir une belle prise car le gecko, malin, tourne en même temps que moi autour du tronc. Je tente de l’encercler mais le voilà qui remonte ! Je me redresse aussi et bim ! une branche bourrée d’épines s’enfonce dans mon crâne et je retombe à 4 pattes, pestant et marmonnant toute seule dans la nuit. Damned, cette planque hostile est efficace contre les prédateurs. Mais quand on est affamé et acharné, on ne lâche pas sa proie. Le gecko me nargue et continue sa progression vers le sommet. Si je ne me jette pas sur lui maintenant il m’échappera pour de bon ! Alors tant pis, je serre les dents et fonce dessus ! Je le plaque, il me mord, je ne le lâche pas et après une bataille inégale (gecko + arbuste épineux VS herpéto), je le tiens ! Enfin, c’est plutôt lui qui me tient, pendouillant au bout de mon doigt qu’il mâchonne rageusement. Une fois rassasié et calmé, je le pose sur une petite pierre, lui demande de se détendre, quelques photos et hop le voilà à nouveau libre qui trottine vers son épineux préféré.

Voilà donc l’histoire derrière cette photo qui cache, en réalité, une bataille sanglante (mon pauvre crâne tout perforé), une immense satisfaction et beaucoup d’amertume (pour le gecko). Elle cache aussi, n’oublions pas, la capture (pendant 2mn) d’un animal qui n’avait rien demandé à personne.

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One comment

  1. Oui en effet ! sympa de raconter l’histoire de la ‘ prise ‘ de la photo ! Et c’est vrai qu’on n’imagine pas tout ça devant l’air calme de la bête !

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