Voyager en taxi au Sénégal : adieu confort !

Pour observer les oiseaux, il faut se montrer patient, chaque ornitho le sait. Eh bien cette patience n’est rien comparée à celle dont il faut se munir en Afrique. Chaque petite chose prend un temps monstre. Et nous, européens, habitués à courir constamment, à essayer de rattraper un temps qu’on n’a pas encore perdu, on perd patience, on s’énerve et on râle. Mais tout ceci est vain car rien ne pourra venir chambouler le rythme africain. Le mieux est encore de se résigner et de garder son énergie et son sourire.

Les transports en sont un parfait exemple. Pourtant, la théorie est relativement simple. Je voulais rallier Mbour en partant de Popenguine, ce qui représente un trajet de 30 km, sur une bonne route goudronnée. Eh bien ça m’a pris la matinée entière, 4 chauffeurs différents dont 2 qui n’étaient pas des taxis, et je suis passée par Sindia, Mbour, Sally et Mbour encore (oui oui je ne sais pas pourquoi non plus). On a emprunté des ruelles étroites, on est resté bloqué car c’était jour de marché, j’ai rencontré la famille du chauffeur autour d’un thé, serré une dizaine de mains, parlé poisson séché/fumé/grillé avec un des mecs qui était poissonnier, ai été invitée chez la famille d’un autre qui m’a présentée à ses 4 femmes et sa douzaine d’enfants… bref, ce fut épique et je n’ai pas tout compris. Mais au final, je suis arrivée à bon port et le plus étonnant, c’est que ça ne m’aura pas coûté un centime. Ce qui, ceci dit, ne m’a pas empêchée de marchander sévèrement ma chambre d’hôtel !

Quand on n’a pas l’habitude de prendre les taxis ce n’est pas évident de savoir qui est taxi et qui ne l’est pas. Au bord de la route, en voyant une voiture s’arrêter, des gens descendre et d’autres monter, je me suis dit naturellement : c’est un taxi. Me voilà qui charge mon gros sac et monte à l’arrière, saluant tout le monde au passage. Au bout de quelques minutes, je m’aperçois que je n’ai pas demandé le prix.

« C’est combien pour aller jusqu’à Mbour ? »

Tout le monde rigole et le chauffeur, amusé, me répond « Rien du tout, je ne suis pas taxi moi »

… « Vous n’êtes pas taxi ? »

« Non, je suis poissonnier »

… « Comment ça vous n’êtes pas taxi ??? »

« Non, je fais du poisson séché. Vous aimez le poisson ? »

Interdite, je ne sais plus quoi répondre. J’ai quand même eu un instant de panique à la pensée d’être dans la voiture d’un inconnu, entourée d’inconnus (que des hommes), suspicieuse de ne rien payer et me demandant si j’allais arriver à bon port en un seul morceau.

Au final, le mec me dépose là où je voulais, avec une grande gentillesse et sans me demander un sous. Vive le covoiturage sénégalais. Par la suite, ne voulant pas abuser de ma bonne étoile, j’ai préféré jeter mon dévolu sur les taxis, les vrais. Ahlala, eh bien je n’ai pas été déçue du voyage !

7 africains dans un taxi, et moi et moi et moi

Quand on dit taxi 7 places, il faut comprendre 7 passagers + le chauffeur. Ce qui fait 8 sardines tassées dans une vieille Peugeot 404 aménagée en taxi 7 places, les 3 supplémentaires se situant dans un espace flou entre le coffre et la banquette arrière. Comme elles sont légèrement en hauteur par rapport aux places avant, nos têtes touchent le plafond et à chaque bosse ou dos d’âne mal négocié, on s’assomme et perd quelques neurones. Mais pour être sûrs qu’on ne bouge pas trop on est également comprimés latéralement.

Étant la plus petite (ce n’est pas dur me diriez-vous), on m’attribue d’office la place au fond, collée contre la portière crasseuse. Ma voisine a du juger que je prenais encore trop de place à son goût et a achevé de m’écraser dans le coin sans ménagement. Contre une mama africaine, je ne fais pas le poids, et bien que je possède quelques arguments postérieurs pour défendre mon territoire, côté poitrail en revanche les armes me font défaut. J’ai donc dû m’incliner et silencieusement me résigner à m’enfoncer davantage sur mon siège à coup de nichons.

Mais toute cette promiscuité forcée n’est rien comparée à la mécanique du taxi. Il semblerait que l’aération soit directement branchée sur le pot d’échappement, ce qui fait qu’on risque davantage de mourir asphyxié que dans un accident (surtout moi qui ai la chance d’avoir un airbag naturel en tant que voisine…). A ce propos, les ceintures sont en option, tout comme les clignotants et les amortisseurs. Quant à l’aspect même du taxi, les vitres, quand il y en a, ne s’ouvrent pas, le parebrise est fissuré de partout et le tout est recouvert d’une couche de saleté tellement épaisse que je suis contente d’y être montée alors qu’il faisait encore nuit.

Gare routière de Kedougou (sud-est du Sénégal)

A un moment, il a bien fallu prendre de l’essence. A ma stupéfaction, le chauffeur ne prend pas la peine d’éteindre son moteur et rempli son réservoir, normal. Sauf que moi qui pensais qu’il fallait absolument éteindre son moteur avant de faire le plein (c’est écrit dans toutes les stations-services quoi !), je panique « tout va sauter, sortez-moi de là ! ». Mais pour me ruer dehors il aurait fallu bousculer la mama africaine, ce qui est im-po-ssible. Je renonce donc à sauver ma peau et me tourne tristement vers mes voisins. Étonnamment, le reste des passagers semble somnoler dans la plus grande indifférence et la voiture n’a pas l’air de vouloir exploser. Bon… on peut se détendre alors, tout va bien !

Quand y’en a pour 7, y’en a pour 9 !

Après les taxis 7 places, voici les taxis 9 places. La différence, hormis les 2 personnes supplémentaires, c’est que la voiture d’un point de vue extérieur ressemble à une voiture de taille normale. Mais où diable le chauffeur va t’il coincer les 2 personnes en plus ? Pas de problème, on est large. On en comprime 4 sur la banquette arrière, 3 à l’avant (dont un assis sur le frein à main) et 4 dans le coffre où 2 planches en bois font office de bancs latéraux. Là où la magie opère, c’est qu’en réalité on était 12 dans la voiture : les 9 malheureux, le chauffeur, un bébé et étrangement, un mec assis sur la roue de secours fixée sur la porte extérieure du coffre. Je l’ai regardé depuis l’intérieur pensant le voir tomber à chaque virage mais non, il voyageait comme si de rien n’était.

Le trajet a duré plus de 4h (pour faire 35 km) tellement la route était défoncée, sans compter les vaches, les ânes et les routiers maliens qu’il fallait éviter en se jetant dans le fossé. Ah oui, j’ai oublié de préciser aussi que la montagne de bagages chargée sur le toit était aussi volumineuse que le 4×4 lui-même. A chaque fois qu’on roulait dans le bas-côté, la voiture tanguait dangereusement, 2 roues semblaient ne plus toucher la route et j’avais peur que tous les gros (assis du même côté) m’écrasent en cas de basculement. Car si un mec est chargé d’équilibrer les bagages sur le toit, personne n’est en charge d’équilibrer les poids des passagers.

Arrivés à destination, le taxi vomit une douzaine de passagers claudiquant, recouverts de la tête au pied de poussière rouge et complètement ankylosés. Ici on vit pleinement le voyage.

Vous avez remarqué que je suis toujours assise à la place la plus pourrie. Je ne le fais pourtant pas exprès et, croyez-moi ou non, ça ne se joue pas à la courte-paille ! Chacun se place en fonction de l’ordre d’arrivée. J’étais arrivée la 4ème, je devais donc être assise sur les sièges arrière, comme n’importe quel passager qu’on respecte. Or, peu importe mon ordre d’arrivée, il me semblait être toujours refourguée au fin fond du taxi « elle est petite celle-là, on va la mettre dans le coffre ». Les gros ont toujours la meilleure place, c’est pas juste.

12 malheureux dans un tas de tôles sur roues

Les taxis africains ne cessent de m’étonner et on se rend compte qu’il y a beaucoup de choses dans une voiture qui sont superflues. Ce taxi-là était censé être un taxi 7 places et devait me prendre au passage. Sauf que quand il s’est arrêté il y avait déjà 10 personnes dedans. Perplexe je regarde le chauffeur « et moi je monte où, sur le toit ? » En le voyant lever les yeux vers le toit pour évaluer les possibilités de chargement humain je m’empresse de rajouter « non non c’était une blague ». Sur la banquette arrière les 3 mamas se serrent un peu plus mais même en se tassant elles ne libèrent qu’un espace de quelques centimètres, même pas assez pour une demi-fesse… Du coup j’échange mon quart de place avec un mec freluquet à l’avant qui lui, arrive miraculeusement à rentrer, avant de se faire écraser (avaler serait plus exact) par la mama qui s’assoie carrément sur lui sans plus de considération, et il disparait d’un coup de mon champ de vision. Personne ne s’enquiert en cours de route si le malheureux respire encore mais arrivés à destination il s’extirpera du taxi comme si de rien n’était…

Bref, le taxi s’ébroue avec 11 personnes tassées là-dedans. Je dis « taxi », mais « tas de tôle bonne à la casse » serait plus approprié. C’est comme si on avait enlevé tout ce qui n’était pas indispensable pour rouler. La voiture semble se limiter à un assemblage de tôles gondolées et rouillées et au moteur. A part le pare-brise avant, il n’y a plus aucune vitre. Le tableau de bord n’est plus là, il n’y a plus aucune manette ni aucun bouton, pas de rétros non plus, ni d’essuie-glaces, de phares ou de poignées. Je m’étonne que les 4 roues soient encore là. Mon sac est jeté sur le coffre comme un vulgaire sac de riz importé d’Inde et on roule comme des fous sur la route défoncée. Au bout de quelques centaines de mètres, prise d’un doute, je demande au chauffeur « vous avez bien attaché mon sac là-haut, hein ? ». Il me répond oui, mais devant son air de merlan je comprends que non. De mauvaise grâce il grimpe là-haut, attache mon sac à l’arrache et reprend sa course effrénée à travers la brousse en évitant les ânes mais pas les trous.

Une fois arrivés, une des portières tombe par terre, mais quelle importance, on peut rouler sans portière, on pourra même faire rentrer un passager de plus ! Il faut savoir qu’il y a quand même des contrôles et qu’un mauvais état du véhicule est passible d’une amende de 200 francs CFA, soit 0,30€… Oui, ça m’a fait rire aussi.

Le business des taxis

Pour prendre un taxi, il faut se rendre à la gare routière. Une fois sur place, on se tient devant un troupeau de Peugeot 404, toutes cabossées et rouillées, désossées pour certaines, et on se croirait à la casse du coin. Mais quand on regarde plus attentivement, tous ces tas de tôles – pardon, ces taxis – sont soigneusement garés selon une organisation et une logique bien précise et une foule de Sénégalais s’activent dans tous les sens autour des voitures. Chacun a un travail bien précis là où le touriste se dirait « mais quel bordel ! ». Alors c’est un peu déroutant quand le mec à qui on vient de donner un bifton part avec notre argent sans nous rendre la monnaie, quand un autre vient demander de payer pour autre chose et on finit par ne plus savoir combien on a donné à qui et qui doit nous rendre quoi.

Mais avec un peu d’habitude et d’observation on comprend qu’en fait il y a 4 mecs : un à qui tu payes ta place, un à qui tu payes pour ton sac (lui c’est le plus coriace, il faut marchander sévère) et un 3° petit, fin et musclé qui grimpe sur le toit pour jouer à Tetris avec la montagne de bagages et qui amarre tout ça à renforts de cordes pour qu’on ne perde rien en route.

Contrairement aux taxis français, ici on peut attendre plusieurs heures avant de prendre la route, même si le taxi est là et que vous êtes dedans. Car, vous comprenez, pas question de partir tant que chaque cm² n’est pas rentabilisé…

Enfin, quand toutes les places sont prises et que tout le monde est tassé à l’intérieur, le chauffeur se pointe, généralement un jeune intrépide avec des lunettes de soleil, prend place et hop les quelques tonnes de tôles et de chair animale (humains, moutons, poules et poissons) prennent la route, pour le meilleur et pour le pire, souvent pour le pire…

Un mouton sur le toit

Le moyen de transport le plus économique reste le bus. C’est aussi le plus inconfortable. Surtout quand on est un mouton. Je cherchais à rallier Popenguine et ne sachant pas trop comment faire, je demande à un mec dans la rue qui tentait de faire avancer un mouton. Par chance, il se rend au même endroit que moi et on se dirige tous les trois (le mouton pas content aussi) vers le bus. Au moment de monter, je regarde le mouton et demande à mon nouvel ami :

« Et le mouton il vient avec nous ? »

« Ah oui oui je l’ai acheté, c’est mon mouton ».

Soit. « Et il va monter où ? »

« Sur le toit ».

Mon sac et le mouton sont hissés sur le toit avec le même ménagement, c’est-à-dire aucun. Deux mecs soulèvent le mouton pour le passer à un 3ème perché sur le toit qui finit par le tirer par les cornes, pauvre bête. La route est mauvaise et on entend le mouton glisser, piétiner et bêler à chaque virage. Je lui dirai bien de s’accrocher à mon sac mais je doute fort qu’il y arrive. Enfin, une fois arrivés, mon pote et moi on descend, je récupère mon sac et lui son mouton traumatisé.

« Et tu vas en faire quoi de ton mouton ? »

« Non, je vais le laver »

« ahhh 🙂 »

« Oui, il faut qu’il soit propre car il va être sacrifié demain pour la fête du village».

Faire tout ce voyage pour finir égorgé, c’est quand même bête..!

Il y a quand même un point positif dans toutes ces heures passées sur la route dans des conditions inconfortables, c’est que la souffrance partagée crée des liens entre les passagers. On s’échange de quoi supporter le voyage, des bananes, des beignets, de l’eau… on discute, on s’aide, etc. Et ça fait passer le voyage plus vite 😉

 

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